Aujourd’hui directeur artistique et
plasticien, Camille, 32 ans, est un ancien des arts déco, d’où il est
sorti en 2012. Il se souvient que « le concours pour y entrer était si technique que le passage en prépa était quasi obligatoire ». Il choisira l’une des deux prépas privées les plus connues en France, et paiera les 6 000 à 7 000 euros d’inscriptions nécessaires.
Passage par la case prépa
A la fois cause et conséquence de la hausse du nombre de candidats, le passage par la classe prépa a en effet tendance à se généraliser
chez les candidats, et donc chez les admis, des écoles d’arts
plastiques. De 15 % du total des élèves pour les moins concernées,
jusqu’à près de 80 % pour les formations les plus demandées : comme à
l’Ensba de Lyon, aux arts déco ou aux beaux-arts de Paris. « On n’entre pas à l’Ecole normale supérieure sans avoir fait hypokhâgne ou khâgne, ni dans les grandes écoles scientifiques sans être passé par “maths sup-maths spé” », justifie Didier Semin, le directeur des études des beaux-arts de Paris.
La classe prépa, comme son équivalent Manaa (mise à niveau en arts appliqués) pour les écoles d’arts appliquées, sert aussi à combler
le manque de culture et de pratique artistique des bacheliers, selon
certains directeurs d’école. En cause, la place réduite et le peu
d’importance accordée à l’art dans l’enseignement secondaire,
plaident-ils.
Alexia, aujourd’hui designeuse de 28 ans à Paris, est passée par l’Ecole supérieure d’art et de design d’Amiens (ESAD). Mais, sortant d’un bac S, elle « ne connaissait rien au monde de l’art, (…) l’année de préparation [privée pour elle aussi] permet d’acquérir les bases d’histoires de l’art, de la curiosité et de la pratique pour pouvoir présenter un book cohérent et répondre aux exigences de connaissances demandées aux concours ».
Uniformisation des candidatures et des profils
Cette progressive généralisation d’une année de préparation à des
concours dont les places sont devenues chères, ne se fait pas sans poser
une question de fond aux écoles : celle du risque d’une uniformisation
des candidatures et des profils préformés dans les mêmes établissements
privés, souvent situés dans les grandes villes.
« Il y a quelques années, beaucoup de jurys se plaignaient de recevoir toujours le même type de dossiers, les mêmes explications, de la part des élèves des classes privées », se souvient Estelle Pagès, directrice des études d’arts plastiques à la Haute école des arts du Rhin (HEAR), situation qui « s’est toutefois améliorée depuis ». Alors que nous « cherchons des profils riches, des personnalités, des singularités artistiques en devenir », rappelle-t-elle.
C’est entre autres pour cette raison que les écoles supérieures d’art
se sont rapidement investies dans le développement des classes
préparatoires publiques, dont les coûts d’inscription sont de quelques
centaines d’euros. « Les directeurs pédagogiques de ces prépas sont beaucoup plus en lien avec les écoles d’arts, connaissent leurs attentes »,
explique Estelle Pagès. Aujourd’hui à la HEAR, si la moitié des élèves
est passée par une classe prépa, ils sont issus à parts égales de prépas
privées et de prépas publiques. Une bonne performance de ces dernières
vu leur nombre.
« Avec dix-neuf classes aujourd’hui, pour quelque 450 élèves, elles deviennent une vraie alternative aux privées », veut croire
Emmanuel Hermange, président de l’association nationale des classes
préparatoires publiques aux écoles supérieures d’art. Elles restent
cependant très minoritaires en termes d’élèves concernés : les deux
prépas privées les plus connues brassent à elles seules plus de mille
élèves par an.
Organiser la diversité
La classe préparatoire des Arcades, à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine), qu’Emmanuel Hermange dirige ne désemplit pas : « On est passé de 200 candidats il y a cinq ans, à 370 en 2015. » Conséquence de ce succès porté par de bons taux de réussite des prépas publiques : la sélection pour entrer va d’« un admis pour cinq candidats à un pour dix selon les établissements ». Le nombre de prépas publiques pourrait atteindre vingt-cinq établissements à l’horizon 2025. La petite dernière, Via Ferrata, a ouvert ses portes aux beaux-arts de Paris à la rentrée.
« Il y a un souhait global dans les écoles de diversifier les origines sociales et les profils des étudiants » résume Emmanuel Hermange. Toutes les écoles interrogées confirment cette tendance. « On réfléchit à permettre, dans le futur, aux prépas publiques de sélectionner entre zéro et quatre élèves de leur effectif, à qui l’on dispenserait le passage de nos épreuves d’admissibilité », commente
ainsi Emmanuel Fessy, directeur des études de l’Ensad. Il voit dans ces
prépas publiques, réparties sur tout le territoire, aussi une manière
de diversifier géographiquement son recrutement.
Afin de diversifier les profils, les écoles d’arts plastiques publiques s’attachent aussi à maintenir, voire à augmenter, le nombre de candidats autorisés, par dérogation, à passer les concours d’entrée sans le bac. Mais aussi à développer les passerelles ou voies d’accès à ceux ayant déjà eu un parcours dans le supérieur.
« Il ne faut pas oublier que l’année supplémentaire que constitue la prépa peut faire peur aux familles les plus modestes, explique Muriel Lepage, directrice de L’Ecole supérieure d’art de Clermont Métropole, où 58 % des élèves sont boursiers. Aujourd’hui 95 % des artistes et designeurs sont formés par une école. Assurer la diversité dans les écoles aujourd’hui, c’est donc aussi diversifier l’art et le monde de demain. »
Par Séverin Graveleau
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