Relax Max, métal peint, 140 et 120 x 45 x 45 cm, production La KunstHalle de Mulhouse, 2016
Les étudiants de VIA FERRATA reçoivent régulièrement la visite d'un artiste qui vient présenter son parcours et son travail. Aujourd'hui, ils ont rencontré Élvire Bonduelle.
" La pratique d’Élvire Bonduelle est tout entière orientée vers une exigeante quête du bonheur à laquelle elle s’astreint avec toutes sortes d’outils, dessin, sculpture, vidéo et bientôt peinture.
Pour Élvire Bonduelle, l’art peut être joli, léger, mais pas frivole ; une vraie autorité émane en réalité de son œuvre. Diplômée de l’Ensba Paris en 2005, elle a décidé de plier sa vie à l’exigence d’un bonheur optimiste, à l’encontre du mythe de l’artiste maudit et malheureux. Elle parle de « sculpture de soi ». Sa fraîcheur revendiquée vient de là, mais n’existerait pas sans la conscience de la difficulté de l’existence – ce n’est pas possible d’être seulement sérieux.
Il est tentant de rattacher l’œuvre d’Élvire Bonduelle à l’histoire de l’art. Ses objets rappellent parfois les formes de l’art minimal, comme Wood is Good (2012), un fauteuil en bois articulé par des charnières, que l’on peut déplier jusqu’à le mettre à plat. Donald Judd fait partie des artistes qu’elle admire le plus, avec Sol Le- Witt, et Bruce Nauman qui la fascine par les paradoxes qu’il met en œuvre dans ses vidéos. Mais la notion d’ornement est aussi très présente dans son travail, et elle cite volontiers les écrits de William Morris et le mouvement Arts and Craft. On pense à l’humour et à la malice de François Morellet, aux collections d’images absurdes de Taroop & Glabel, aux constructions irréelles d’Andrea Zittel. La pratique d’Élvire Bonduelle échappe aux catégories, elle est surtout intuitive, et se glisse dans le cours de l’histoire en empruntant ses contradictions.
Dans
son programme, elle s’est elle-même proclamée, il y a quelques années, «
dictatrice du bonheur », grimée avec des mous- taches d’Hitler...
roses. Elle a fabriqué des instruments pour être heureux, un Sèche-larmes ou un Tire-bouche, qui ressemblaient à des instruments de
torture, ou plutôt aux machines malicieuses que Jacques Tati a filmées
d’un œil tendre et amusé. Puis elle a inventé des Cales pour que l’on
puisse s’installer confortablement dans la vie, morceaux de mousse
couverts de tissus peints en imitation bois ; ce sont des sièges-lits-chauffeuses modulables en fonction de l’espace et des corps. Il y a
beaucoup de chaises dans l’œuvre d’Élvire Bonduelle, en particulier des
Rocking-chairs et des Rocking-transats, parce qu’on peut s’asseoir
dessus pour regarder le monde. En résidence au Canada, elle a décidé de
réaliser elle-même une paire de Berceuses (en canadien : fauteuil à
bascule), comme il en existe là-bas dans les jardins devant les
pavillons de banlieue. Elle a ensuite décliné cette idée en différentes
variantes plus ou moins reconnaissables et praticables, en métal ou en
bois. Il y a peu de temps qu’elle délègue la production de ses œuvres ;
elle les a longtemps fabriquées elle-même, pour la « tendresse du bois
», et l’intimité avec les matériaux qui se tisse quand on les travaille
de près.
Quelque chose la fait rêver – entre le rêve et le cauchemar –
dans les paysages des banlieues pavillonnaires où elle part souvent se
promener en voiture pour observer toutes sortes de détails
architecturaux, fantaisies dans ce monde trop normé. Une série est née
de ces dérives suburbaines, les Dessins à la règle. Elle les poursuit
depuis 2007, régulièrement, comme des respirations; elle en a même fait
des livres. À sa table de travail, elle trace une ligne avec un double
décimètre, et d’une traite, en improvisant, laisse venir à sa mémoire
des formes et des couleurs. C’étaient d’abord des intérieurs, à l’époque
où elle n’avait pas vraiment d’atelier pour travailler, puis des
pavillons de banlieues (maison, voiture, chien), parfois aussi des demeures monumentales. Quelques rehauts de couleurs soulignent les
profondeurs. La dernière série s’intitule les Vertus; Élvire Bonduelle a
rêvé d’un promoteur immobilier qui demanderait à chaque propriétaire
quelle vertu il voudrait voir inscrite sur sa maison : « Calme et
sérénité », « Paix / Peace / Friede », peut-on lire à un balcon, sur des
volets ou sur un toit.
Car Élvire Bonduelle
aime les mots. Elle écrit des chansons légères et entêtantes dont les
paroles sont un peu « l’esprit de ses œuvres ». Depuis longtemps, elle
lit le Monde, « un peu comme [elle] ferait sa prière ». C’est parce que
cette lecture était trop violente qu’elle a conçu le meilleur Monde,
édition spéciale du quotidien, réalisée en trois mois au cours desquels
elle a découpé et rassemblé exclusivement les bonnes nouvelles (et qui
n’a rien de l’atmosphère terrifiante du Meilleur des mondes d’Aldous
Huxley). El Païs l’a invitée à créer de même El mejor Païs, juste au
moment, et c’était un hasard, où le mouvement des Indignados s’est
déclaré à Madrid. Elle a distribué ces journaux de bonnes nouvelles dans
la rue, au cours de quelques performances.
Dans les arènes d’Arles,
elle donnait aussi aux passants ses parapluies-ombrelles en couvertures
de survie, petits modules portatifs de bonheur, protégeant du soleil et
de la pluie ; El- vire Bonduelle les a créés pour l’exposition To the
Moon via the Beach qui était organisée par Philippe Parreno et Liam
Gillick. Ils s’intitulent Modules lunaires
individuels, d’après les LEM (Lunar Excursion Module), vaisseaux qui ont
permis aux astronautes de descendre de leur fusée pour marcher sur la
Lune. Ce contexte d’une exposition collective conçue par des artistes, Élvire Bonduelle en est familière ; elle-même joue (dans une moindre
mesure) régulièrement le rôle de commissaire d’exposition pour partager
des connivences artistiques.
Aujourd’hui elle a décidé d’apprendre la
peinture à l’huile. Elle a commencé par faire fabriquer des châssis en
forme d’arcs en plein cintre, dont elle a assumé les finitions. Un petit
retable qu’elle vient d’achever avec des chutes de bois est accroché au
mur de son atelier. C’est la question du sacré qui l’intéresse dans ces
objets, pas celle de la religion mais une forme encore plus grande
d’intimité avec les objets. Selon ses propres termes, elle allie l’art
et la vie, le fonctionnel. "
Texte : Anaël Pigeat, Introducing Élvire Bonduelle, Art press N°397, février 2013
image 2 :
Vue d'atelier avec Red Bush,
acrylique sur toile, 190 x 145 cm, 2016
image 3 :
Moulures, polystyrène et résine peinte, dimensions variables, Mac Val, 2015 et Individual LEM
, parapluie en couverture de survie, Production Fondation LUMA, 2012
Le site Internet d'Élvire Bonduelle en cliquant sur ce lien.
Suivez en direct toute l'actualité de VIA FERRATA sur sa page Facebook en cliquant ici.